Le docteur de Montfaucon

Le 50ème anniversaire de la libération du Lot fut l’occasion de rendre hommage à tous ceux qui ont résisté aux occupants nazis mais aussi aux victimes de leur barbarie.
Le 4 avril 1994, la commune de Montfaucon rendit hommage à la mémoire du Docteur Lazare Polack, dont le seul crime fut de naître juif. Une plaque mémorielle fut apposée ce jour-là au centre hospitalier « La Roseraie » au cours d’une cérémonie en présence du préfet, Claude Langevin.

Pourquoi si tard ? 

Son histoire est emblématique parce qu’avant d’être victime des nazis, le Docteur Polack a subi l’acharnement sans pitié des fonctionnaires de l’État français, qui sont allés jusqu’à contourner leurs propres lois pour « avoir sa peau » de juif.

En examinant tous les documents disponibles, il est possible de reconstituer l’enchainement des évènements vécus par le Docteur Polack et sa famille.

Lazare Polack, né le 23 août 1884, à Bordeaux,
formé à la médecine à l’école de Santé navale de Bordeaux,
ancien combattant de la première guerre mondiale.

La famille Polack, sans doute originaire d’Europe orientale, est devenue Française par naturalisation au 18è siècle. C’est ce que peut prouver Lazare Polack, son ancêtre B. Polack étant né en 1736 à Hellimer, en Moselle.

Depuis, les descendants Polack ont épousé des Françaises, lorraines de souche.
Son grand-père, I. Polack, né en 1800 à Hellimer, a épousé en 1835 Babette Max dont toute la famille était originaire de Lorraine. Du coté de sa mère, née Todrosse à Dieuze en Lorraine, en 1856, toute la  famille est Française et Lorraine. Tous après 1870 choisirent la France et conservèrent la nationalité française.

De nombreux hommes de ces familles se sont illustrés dans les grands conflits menés par la France. Le frère de sa grand-mère paternelle avait fait la campagne de Russie dans les armées de Napoléon 1er. Son père, E. Polack, né en 1841 à Hellimer, fit 9 ans de service militaire et la guerre de 1870, comme sergent. Prisonnier de guerre, à son retour il fit toute sa carrière comme fonctionnaire.

Du coté de son épouse, les personnages sont tout aussi remarquables :

  • Juliette, Agathe Dennery, est née le 21 avril 1891 à Paris. Sa famille est originaire de Ennery (Moselle).
  • Son père, Charles Dennery, est né à Metz en 1860. Il était fabricant de meubles. Pendant la guerre de 1914-1918, il fut capitaine d’infanterie.
  • Son grand-père, Sylvain Dennery, né en 1831, et les parents de sa grand-mère, Julie Lajeunesse, née à Metz en 1837, ont tous opté pour la France en 1870.

Lazare Polack et son épouse ont eu trois enfants :

  • François est né le 9 avril 1918 à Sidi-Abdallah (Maroc) où son père était médecin-résident. Il a fait la guerre de 1940 et a été fait prisonnier. Emmené en captivité à Sarrebourg, s’est évadé le 25 octobre 1940 et a pu rejoindre l’école Polytechnique à Lyon.
  • Pierre est né à Brest (Finistère) le 3 novembre 1920. En 1940, il est étudiant en médecine à Toulouse, où il vient de terminer sa deuxième année.
  • Gilberte, Yvonne, née le 20 décembre 1927 à l’établissement de la Marine d’Indret (Loire inférieure), est scolarisée à Gourdon (Lot). 

Pour reconstituer et comprendre l’histoire de cette famille, nous avons accès à trois sources principales :

  • Les investigations de l’administration du gouvernement de Vichy, puis, à partir de 1945, de la République française, qui sont accessibles depuis près de 15 ans notamment aux Archives départementales du Lot dans la série W.
  • Les pièces rassemblées en 1994 par Pierre Combes, – principal fondateur et premier président de l’association du Musée de la Résistance, de la Déportation et de la Libération du Lot – dans le cadre de la commémoration du 50ème anniversaire et de la cérémonie du 4 avril 1994 au centre médical de la Roseraie (ancien sanatorium de Montfaucon).
  • Les informations et documents fournis par la famille Polack, dont certains figurent dans les deux dossiers précédents.

L’AFFAIRE POLACK

C’est ainsi que l’administration de Vichy a nommé ce dossier qui est librement consultable (AD LOT – 1 W art. 46).

Ce drame débute en novembre 1940 et se déroule sur une période relativement longue, au cours de laquelle le Docteur Polack n’a pas conscience que lui et sa famille sont en danger de mort.

Les lieux : le sanatorium de Montfaucon, la préfecture du Lot à Cahors, le Secrétariat d’Etat aux communications à Paris, le Commissariat général aux questions juives à Vichy.

Les personnages : le Docteur Polack, le Directeur départemental des PTT, la Fondation qui emploie le Dr Polack, le Secrétaire d’Etat aux communications à Paris, le Médecin-Inspecteur de la santé à Cahors, le Commissaire général aux questions juives à Vichy, les Préfets du Lot qui se sont succédés de 1940 à 1945.


Première partie 1940 – 1942 :
Le Docteur POLACK et le gouvernement de Vichy

Après une carrière de médecin de la Marine exemplaire, le Docteur Lazare Polack a dû prendre une retraite anticipée, en 1931, à l’âge de 47 ans, en raison d’une tuberculose pulmonaire contractée au combat, pendant la première guerre mondiale. Il a été reconnu invalide à 100%.

Il a pu cependant retrouver un poste de médecin civil à Montfaucon (Lot) dans un sanatorium appartenant à la Fédération des sociétés postales de mutualité, seul secteur du domaine médical dans lequel il était autorisé à exercer la médecine. Il en devint rapidement le médecin-directeur, à la satisfaction générale.

Les ennuis du docteur Polack commencent avec la promulgation de la loi du 3 octobre 1940, qui interdit aux juifs d’exercer une fonction publique. La situation s’aggrave avec la loi du 3 juin 1941 portant statut des juifs. Son cas témoigne de ce que la haine des nazis pour la « race juive », servie par le zèle antisémite du gouvernement de Vichy, a déclenché dans notre pays, durant ces années noires.

Le 30 novembre 1940 : le Secrétaire général de la préfecture du Lot demande au chef de cabinet du préfet (note interne) « .. de soumettre le cas du Dr POLACK (…) à M. le Préfet pour examen et décision ». (Mention manuscrite sur la note : « qui a signalé ce cas ? affaire de religion, race ou cumul ? »)

Le 16 décembre 1940 : Le directeur des postes du Lot accuse réception de la lettre du préfet et transmet à sa hiérarchie « pour information et « avis confidentiel ».

On comprend en lisant la réponse du Secrétariat d’État aux communications, adressée au Directeur des communications de Cahors le 25 janvier 1941, que la curiosité de l’administration de Vichy a pour objet l’application de la loi du 3 octobre 1940, « portant statut des juifs », qui exclut les personnes de race juive de nombreux emplois dans la fonction publique. Cependant, cette loi contient un certain nombre d’exceptions en faveur des juifs français qui ont combattu en 14-18 et le Docteur Polack remplit toutes les conditions et au delà.

On pourrait penser que cette « affaire » va s’arrêter là et que le Docteur Polack va pouvoir poursuivre sereinement son activité de Médecin-Directeur du Sanatorium féminin appartenant à une fédération de sociétés privées du secteur des Postes. 

Il n’en est rien.

Cependant, les circuits de communication, le nombre impressionnant d’intermédiaires et les lenteurs habituelles de l’administration font que l’avis du Secrétariat d’État aux communications, passant par la Direction de Cahors, ne parvient que le 17 février 1941 au Secrétaire général de la Préfecture du Lot, qui les transmet au Préfet, Maurice Bézagu.

Pensant sans doute à sa carrière, le Secrétaire général  suggère au Préfet « d’approfondir les investigations en demandant au Dr Fuminier, médecin-inspecteur d’hygiène départemental et à M. Marret, inspecteur de l’Assistance publique et contrôleur départemental de l’A.M.G., de faire une enquête sur les faits signalés par la plainte du 19 janvier 1941, adressée à Monsieur le Chef de l’Etat(1), mais en bornant cette enquête aux conditions d’hygiène et au traitement des malades de l’A.M.G. »

Le 2 août 1941, le Commissaire général aux questions juives, M. Xavier Vallat(2) s’adresse au Préfet du Lot, à propos du Médecin-Directeur Polack. Le Secrétaire D’État aux communications lui a précisé que la Fédération des sociétés postales de mutualité, à laquelle appartient le sanatorium, touche une subvention du Secrétariat général des P.T.T. Il demande donc au Préfet « de faire le nécessaire pour que cette situation irrégulière soit terminée au plus tôt ».

Par un écrit du 29 septembre 1941 (incomplet dans cette cote), le Docteur Polack plaide sa cause et explique les raisons qui l’ont contraint à quitter la Marine par anticipation. Il estime remplir les conditions de l’article 3 de la loi du 2 juin 1941 et pour être certain d’être parfaitement en règle, il renonce à son poste de directeur pour redevenir « médecin assistant ».

Par lettre du 20 octobre 1941, le médecin-inspecteur de la santé du Lot répond à la demande de rapport du Préfet. Il rappelle que, selon le Commissaire général, le Docteur Polack était touché  par l’interdiction d’occuper un poste de direction dans une entreprise privée bénéficiant d’une subvention de l’Etat.

Le Président de la fédération des sociétés postales a demandé au préfet de maintenir le Docteur Polack en fonction jusqu’au 15 octobre au plus tard. Le délai étant accepté, le Président fait savoir que le Médecin-adjoint était désigné pour prendre la direction du sanatorium à compter du 15 octobre 1941. Le Docteur Polack a été désigné comme Médecin-adjoint. Il rappelle que le Docteur Polack est titulaire de la carte de combattant (guerre de 1914-1918), qu’il est officier de la Légion d’Honneur à titre militaire (janvier 1938) et qu’il aurait fait l’objet de certaines distinctions soit à titre militaire soit à titre civil.

Le 7 novembre 1941, le Commissaire aux questions juives revient à la charge. Ne pouvant contester les faits d’armes du Docteur Polack, qui devraient le mettre hors du champ de la loi sur le statut des juifs, il considère que la rétrogradation du Docteur Polack est une manœuvre et que celui-ci « conserve une influence trop considérable pour que son poste ne puisse être qualifié de poste de direction. D’ailleurs, le maintien du Dr Polack dans cet hôpital est contraire à la loi sur les cumuls… »(3).

Manifestement, le Commissaire aux questions juives veut la peau du Docteur Polack.
Ne pouvant y parvenir en application des lois anti-juives, il cherche une autre piste. La fin de sa lettre est éloquente :

« De par sa carte de combattant, il est compris d’office dans le numerus clausus des médecins du département et peut exercer la médecine. Ce n’est pas une raison pour qu’il occupe par surcroit un poste interdit aux juifs (…) et que bien des médecins français, anciens combattants, seraient heureux d’occuper ».
Il demande que « la situation soit examinée au regard de la loi sur les cumuls. »

Le nouveau préfet, Antoine Loïc Petit se défausse sur le Secrétaire général auquel il transmet la lettre du Commissaire aux questions juives. Il se défend de toute responsabilité puisqu’il vient d’arriver mais soutient sans équivoque la position du Commissaire.

Le 24 novembre 1941, le service de la comptabilité de la préfecture adresse au docteur Polack une note demandant de lui communiquer « d’extrême urgence les renseignements suivants :
– montant de votre traitement  :
– montant des indemnités diverses perçues en argent et en nature :
– nature et montant des pensions de toutes sortes perçues par vous : 
»

Le Docteur Polack répond scrupuleusement à chaque question et ajoute un long commentaire d’une page manuscrite. Il invoque la loi du 27 octobre 1940 qui n’interdit pas le cumul de retraite et d’emploi rémunéré. Puis il invoque le passé de sa famille et de celle de son épouse, leur patriotisme et leur qualité de bons Français depuis plus de 5 générations.

Début décembre tout le monde s’agite à la Préfecture. Le Secrétaire général fixe un ultimatum au service comptabilité et le 11 décembre, le Préfet est en mesure de transmettre la réponse du Docteur Polack concernant ses divers revenus. Il précise que dès le 7 novembre, il a mis en demeure l’administration du sanatorium de se séparer du Docteur Polack avant le 1er janvier. Il a cependant reconnu que celui-ci pourrait exercer la médecine dans le département du Lot, à l’exclusion d’un poste dans un établissement subventionné. Pour conclure et sans doute, se donner bonne conscience, il estime que « la stricte application sur les cumuls interdisait à elle seule le maintien en fonctions du Docteur Polack ». Le même jour, il informe le Directeur du sanatorium, sous couvert du Commissaire général aux questions juives.

Le 15 décembre 1941, le Docteur Polack écrit au chef de cabinet dans le but d’obtenir une audience auprès du préfet. Point par point il développe ses arguments et ajoute même qu’il sait qu’il a été dénoncé par une ancienne employée et une ancienne pensionnaire de l’établissement. En annexe à sa lettre, il détaille l’histoire de sa famille.

Le préfet accorde au directeur du sanatorium un délai supplémentaire d’un mois pour remplacer le Docteur Polack et en informe le Commissaire aux affaires juives. Il justifie cette magnanimité par les brillants services de guerre du Dr Polack.

Ainsi au début de l’année 1942, le préfet du Lot peut clore ce dossier avec le sentiment du devoir accompli.

Le dossier de la préfecture ne contient aucune pièce des années suivantes.

Pourtant, il reste quelques feuillets à consulter. Un échange de lettres datées d’octobre à décembre 1950, entre le Ministère des Finances de la rue de Rivoli, le Préfet du Lot (Maurice Justin, ancien résistant) et les Renseignements généraux.

Le Ministre des Finances et des Affaires Economiques écrit au préfet du Lot, l’informant que M. Lazare Polack, et son fils François-Robert « ont été constitués conjointement débiteurs envers le Trésor d’une somme de 16.000 fr. représentant le montant des frais d’entretien et d’instruction du dernier nommé à l’école Polytechnique (promotion 1939) ».

Le ministre aurait entendu dire en Août 1944, que Lazare Polack avait été arrêté par les allemands le 15 décembre 1943 et n’aurait jamais donné de ses nouvelles depuis cette dernière date. Il demande donc au préfet de procéder à une enquête afin de vérifier l’exactitude de ces indications. Par la même occasion, il devra vérifier si le fils ne s’est pas retiré à Montfaucon dans la maison de son père. « Et au cas où le même redevable serait domicilié dans votre département, je vous demanderai de me renseigner sur sa solvabilité… les ressources dont il dispose et les charges qui lui incombent ».

Nous ne sommes plus sous la dictature de l’Etat français de Pétain et de Laval, mais les hauts fonctionnaires en charge des finances de l’État se comportent toujours de la même façon, quel que soit le régime politique qui les emploie et n’ont aucune imagination.

En refermant le dossier de la Préfecture, nous ne savons toujours pas ce que sont devenus le Docteur Polack et sa famille. Avaient-ils pu quitter la France ? l’alternative étant leur arrestation par les nazis, après  l’invasion de la zone dite libre.

(1) La plainte est absente de la cote 1 W 46

(2) Le Commissariat général aux questions juives a été mis en place en mars 1941 par le gouvernement de Vichy

(3) Aucune précision à ce sujet.


Fin de la première partie.

À venir dans la deuxième partie : le dossier de Pierre Combes, Président de l’association du musée de la Résistance, de la Déportation et de la Libération du Lot.

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